Les semaines s'enchaînent outre-Rhin, marquées depuis des mois par la crise sanitaire et les échéances électorales.
Reprenons pour commencer l'affaire de la 4ème modification de la « Loi de protection contre les infections », restreignant en particulier les attributions des länder en matière de santé par l'utilisation de la « Notbremse » (signal d'alarme) et s'appliquant automatiquement à tout point du territoire, si le taux de contamination par le coronavirus dépasse un certain seuil.
Légèrement amendée (mais sans aucune modification de fond), sous l'effet des vives critiques du projet (en positif avec le report du couvre-feu de 21h à 22h, en négatif avec l'abaissement du seuil de contamination de 200 à 165 pour la fermeture des écoles), cette loi a vu son texte définitif adopté en 2ème lecture le mercredi 21 avril au Bundestag après un débat bref et animé.
Le vote des groupes politiques a donné le résultat suivant :
CDU-CSU-SPD : pour
Verts : abstention
FDP-Linke-AfD : contre
Au vote nominal ont voté
OUI : 342 députés
NON : 250 députés
ABSTENTION : 64 députés
Certains observateurs avaient l'impression de revivre le débat de novembre 2020 autour de la 3ème modification de cette même loi. Même brièveté et même ambiance à l'extérieur : des manifestants pris comme dans une nasse sur la « Strasse des 17. Juni », puis dispersés avec une rare énergie par les forces de l'ordre.
Citons dans ce cadre deux propos de parlementaires donnant plus ou moins raison aux opposants à la modification de la loi.
D'abord Ralph BRINKAUS, chef du groupe CDU au Bundestag, reconnaissant que l'on a affaire, dans ce cas présent, à une sorte de « loi d'exception »
Ensuite le député SPD Fritz FELGENTREU confessant que la loi est pour lui une erreur, mais qu'il a tout de même voté pour.
Sans aller jusqu'à parler de dilemme cornélien, nous pouvons néanmoins constater que le métier de parlementaire, que ce soit à Berlin ou à Paris, n'est pas une sinécure ... L'on peut également constater que les voix critiquant la politique de la grande coalition depuis mars 2020 ne sont pas toujours les bienvenues.
Dès le lendemain du vote au Bundestag, le jeudi 22 avril, une série de 53 vidéos satiriques dues à des comédiens et visant le « Lockdown » étaient mises en ligne sous le titre de « allesdichtmachen » (tout fermer, tout boucler). Parmi les acteurs les plus connus figurent Ulrich TUKYR (La vie des autres) et Volker BRUCH (série télévisée « Babylon-Berlin » ).
Si cette démarche, qui semble relever du simple exercice de la démocratie, a reçu quelques soutiens officiels, dont le plus remarqué (et politiquement intelligent) est celui d'Armin LASCHET, elle a suscité rapidement un torrent d'indignation et de condamnations dans les médias traditionnels (de la « Frankfurter Allgemeine » au « Tageszeitung », sur toutes les chaînes de télé publiques et sur les réseaux sociaux, avec le lot habituel d'injures et de menaces - parfois de mort).
La pression est telle sur les comédiens concernés (qui craignent pour leur carrière) que certains ont déjà battu en retraite et regretté leur initiative. La bonne vieille autocritique ne perd décidément pas ses droits. La « Debattenkultur » continue en tout cas de mal se porter chez nos voisins , et l'on ne peut que lui souhaiter un prompt rétablissement.
Revenons au début de cette semaine d’avril que nous sommes en train d'évoquer. Le lundi 19 avril a été un jour important pour les Verts, puisqu'il a vu la désignation par les instances dirigeantes du parti d'Annalena BAERBOCK, (coprésidente des Verts avec Robert HABECK), comme candidate écologiste à la chancellerie pour l'automne prochain. C'est une première dans l'histoire du parti, comme nous l'écrivions déjà : Les Verts affichent leur volonté de retourner au pouvoir en position de force, pour donner une inflexion résolument écologique en tout domaine à la politique allemande des prochaines années (voir ci-dessous les remarques sur le programme électoral des Verts).
La désignation d'Annalena BAERBOCK n'est pas une surprise. Le coprésident du parti, Robert HABECK, faisait profil bas depuis déjà assez longtemps. C'est néanmoins lui qui, au départ, possède le plus d'atouts en matière d'expérience politique (ministre de l'Environnement et vice ministre-président du land de Schleswig-Holstein de 2012 à 2018), tandis qu'Annalena BAERBOCK est simplement députée au Bundestag depuis 2013. Son expérience est pour l'essentiel, une expérience de parti, mais elle est portée par la vague de féminisation des responsabilités politiques et devrait, aux yeux de beaucoup, prendre naturellement la succession d'Angela MERKEL (rappelons-le, elle aussi ancienne ministre de l'Environnement). Cette dernière lui aura, d'ailleurs, bien préparé le terrain, avec le passage à la transition énergétique (Energiewende). Le temps des dirigeants verts historiques « machos » à la Joschka FISCHER ou Jürgen TRITTIN est bel et bien révolu.
Certains regretteront la compétence des « grands ancêtres », compétence qui, disent les esprits chagrins, n'est plus un critère essentiel pour exercer le pouvoir.
Ce qui l'emporte dorénavant, c'est l'image, l'attitude, les sentiments suscités dans l'électorat. Les anecdotes ne manquent certes pas au sujet des connaissances plutôt approximatives de Mme BAERBOCK. Elle a confondu un jour, par exemple, le réseau électrique avec un espace de stockage, ou bien une autre fois, parlant des batteries des voitures électriques, le cobalt avec les «Kobolde» (lutins des contes populaires). Mais loin de la desservir, ces bévues lui gagnent le cœur des couches moyennes urbaines plus ou moins sensibles aux thèmes écologiques. Ces dernières projettent sur elle leurs attentes apolitiques et « romantiques ».
Les médias presque unanimes ont accueilli la désignation d'Annalena BAERBOCK par un concert de louanges (le mot est presque faible), hissant déjà leur championne sur le trône.
La force de Mme BAERBOCK, c'est le naturel et la conviction qui la caractérisent dans tout ce qu'elle déclare. Il est tentant de reprendre à son propos le célèbre jugement du comte de MIRABEAU (dans ses Mémoires Posthumes) sur ROBESPIERRE : « Cet homme ira loin, il croit tout ce qu'il dit».
Annalena BAERBOCK est portée non seulement par l’esprit du temps, mais également par l'actualité, qui met l'environnement au centre de l'attention. Avançons, pour en fournir un exemple, jusqu'au jeudi 29 avril. Ce jour-là, le Tribunal Constitutionnel Fédéral, instance juridique suprême de la RFA, a rendu un arrêt qui continue de faire du bruit.
Suite à une plainte déposée par plusieurs ONG (dont Greenpeace) et des personnes individuelles (notamment Luisa NEUBAUER, animatrice-vedette en Allemagne du mouvement de jeunes citoyens « Fridays for Future »), les juges de Karlsruhe demandent au gouvernement fédéral de corriger la « Loi sur la protection du climat », cette dernière étant jugée contraire aux principes de la Loi fondamentale de la RFA. Le gouvernement est prié de fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l'après 2030, afin que la société puisse mieux se préparer à ces échéances et pour éviter une réduction trop importante des droits fondamentaux des générations futures. Rappelons que cette loi avait été adoptée en 2019, et après bien des discussions : la CDU-CSU la trouvant trop contraignante et digne d'une économie planifiée. Cette loi stipule que les émissions de gaz à effet de serre doivent être éliminées d'ici 2050 et réduites de 55 % d'ici 2030 ; des objectifs annuels sont fixés jusqu'en 2030.
Ce jugement qui sonne comme une gifle pour la grande coalition (même si l'une des personnes souffletées, Peter ALTMAIER, ministre de l'Economie, ne tarit pas d'éloges sur lui) est du véritable pain béni pour les Verts qui, plus généralement, se sont mis en campagne, dès avant la désignation de leur candidate à la chancellerie.
Annalena BAERBOCK a ainsi été invitée le 12 avril au CeBIT (grand salon mondial de l'industrie) pour y expliquer comment l'Allemagne peut parvenir à l'élimination des gaz à effet de serre d'ici 2050. La candidate semble avoir été assez convaincante puisque, sur 1500 chefs d'entreprise et responsables de la haute administration sondés dans la foulée, plus de 25 % se disent prêts à voter pour les Verts.
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Il vaut la peine de s'arrêter un peu sur le projet de programme électoral des Verts, en laissant largement de côté la rhétorique habituelle de ce type de texte et en se concentrant sur trois points fondamentaux du contenu.
Il apparaît assez vite, à la lecture du document, que les Verts, qui dictent l'agenda politique et idéologique allemand depuis bien des années, veulent maintenant franchir un seuil pour passer de l'hégémonie formelle à l'hégémonie réelle. Ils ne veulent plus se contenter d'un rôle d'appoint comme ils l'affirment au début du document, déclarant noir sur blanc qu'ils luttent, pour la première fois de leur histoire, afin d'exercer la direction politique, sur le plan du contenu et sur le plan des responsabilités.
On peut donc dégager trois leitmotive dans les engagements programmatiques des Verts :
1 – La peur : chaque jour compte pour la défense de la nature et la protection du climat. Les crises planétaires (liées avant tout à l'environnement) influencent profondément la vie des gens et menacent la liberté, la sécurité et la prospérité. La sécurité et la protection deviennent dans ces conditions des exigences primordiales. (Un petit détour par la rhétorique : la sécurité figure, sous des formes variables, plus de 300 fois dans le texte, la protection plus de 200). Les risques inhérents à la condition humaine sont vus comme des anomalies qu'il importe de réduire. La vie est dangereuse et il convient donc de l'encadrer, en érigeant le plus grand nombre possible de garde-fous.
2 – Le rôle central de l'Etat, seul capable d'apporter la sécurité et la protection évoquées à l'instant et, de surcroît, de réduire au maximum les inégalités. L'Etat est vu comme la base de la société : il prévient, garantit et protège ; il définit ce qu'est la qualité de la vie, qui se mesure non seulement au PIB, mais également selon des critères sociaux et écologiques. Cette tendance à la centralisation des décisions réduit la place de l'initiative individuelle. Les besoins humains doivent laisser toute leur place à ceux de la nature, du climat et du règne animal.
3 – Le scepticisme vis-à-vis de l'Allemagne et de tout ce qui est allemand.
Toute une tradition (essentiellement de gauche) a vu longtemps dans la division de l'Allemagne un juste châtiment pour l'expiation des crimes nazis et continue aujourd'hui à clamer : « Nie wieder Deutschland » (plus jamais l'Allemagne). Robert HABECK déclarait, il y a déjà longtemps, que le patriotisme lui donnait la nausée et qu'il n'avait rien à dire sur l'Allemagne. L'idéal de beaucoup outre-Rhin demeure la construction d'un Etat fédéral européen : l'Europe comme identité de substitution.
En résumé, ce projet de programme, intitulé « Deutschland, alles ist drin » (l'Allemagne, tout y est) attend de l'action politique qu'elle rende possible ce qu'il y a de meilleur, à l'opposé des conceptions qui lui assignent le but d'éviter le pire. Un texte qui respire au fond la nostalgie de la RFA d'avant la réunification ; un programme, ironie de l'Histoire, assez conservateur par certains côtés.
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Après ces quelques remarques un peu arides, remontons à nouveau le temps jusqu'au mardi 20 avril au matin. Après des heures de discussions nocturnes, la présidence de la CDU désigne, aux deux tiers des voix, Armin LASCHET comme candidat CDU-CSU à la chancellerie. L'après-midi, Markus SÖDER renonce officiellement à sa candidature, ajoutant que les « dés sont jetés ». Cette formule s'applique sans doute aux Verts qui présentent un parti uni et soignent remarquablement leur communication. A l'opposé, les dés vont continuer de rouler pour la CDU : d’une part des dissensions internes nuisant à l'image du parti (jusqu'à la désignation en Thuringe, d'un candidat au Bundestag, contre l'avis de la direction, lors du week-end du 1er mai ,), d’autre part l’absence pour le moment de programme électoral et un «Kanzlerkandidat» désigné à l'arraché... Une machine de pouvoir, vieillie et à bout de souffle, qui va devoir affronter une autre machine de pouvoir, jeune et en pleine possession de ses moyens, toute prête à prendre la place de l'ancienne.
Armin LASCHET est un chef de parti en sursis et un candidat à la chancellerie qui sera observé sans indulgence par ses adversaires internes, au-delà du soutien public que certains responsables chrétiens-démocrates lui apportent (celui de Wolfgang SCHÄUBLE, 78 ans, président du Bundestag, est loin d'être à négliger). Chacune de ses fautes renforcera ses adversaires, et en particulier Markus SÖDER. S'il perd à l'automne face aux Verts, il devra probablement quitter la présidence de la CDU. Ce qu'il aurait sans doute déjà dû faire si SÖDER l'avait emporté dans la course à la candidature. Markus SÖDER est à l'abri dans son fief bavarois et la responsabilité de l'échec éventuel de la CDU-CSU reposera exclusivement sur les épaules d’Armin LASCHET.
Angela MERKEL a utilisé LASCHET en janvier dernier pour empêcher son vieil ennemi Friedrich MERZ de prendre la direction de la CDU, puis l'a laissé tomber. Son silence glacial dans la controverse autour du « Kanzlerkandidat » et le soutien ouvert apporté par son bras droit, Peter ALTMAIER, à Markus SÖDER, sont éloquents. Le fait que LASCHET, soutien fidèle de la chancelière et considéré comme « de gauche », apparaisse aujourd'hui comme le seul dirigeant en mesure de fédérer autour de lui les sensibilités chrétiennes-démocrates plus conservatrices, est révélateur de l'abandon complet, par la direction de la CDU, de ces mêmes positions libérales-conservatrices (incarnées notamment par Friedrich MERZ).
Dans le concours de mimétisme à l'égard de la chancelière, c'est Markus SÖDER qui a fini par l'emporter, n'hésitant pas à pratiquer la surenchère dans le domaine des restrictions aux droits et libertés. Il est ainsi allé jusqu'à proposer de lever certaines de ces restrictions pour les seules personnes vaccinées.
Quoi qu'il en soit, la tâche est immense pour Armin LASCHET en ce début de campagne, à présent que les principaux candidats à la chancellerie sont sur la ligne de départ. Nous reviendrons sur ce point dans une prochaine « Nouvelles de l’ACLE », ainsi que sur les perspectives d'avenir pour la CDU.
La prochaine échéance électorale, les élections au landtag de Saxe-Anhalt le 6 juin, est toute proche et, sera le dernier test politique avant le grand rendez-vous du 26 septembre (élections au Bundestag, et en même temps aux Ladtage de Berlin, Mecklembourg-Vorpommern et Thuringe).
La moyenne des sondages au 29 avril donne pour la Saxe-Anhalt les chiffres suivants:
CDU : 26,4 % AfD : 22,2 % Linke : 12,6 %
Verts : 11,6 % SPD : 10,9 % FDP : 6,9 %
Ces données montrent la configuration particulière des nouveaux länder ayant pris la suite de la RDA. Derrière l'AfD en 2ème position arrive die Linke, pas trop mal placée à 12,6 %, sans toutefois atteindre les 16 % du land de Mecklembourg-Vorpommern, et sans parler des presque 30 % que les sondages lui attribuent à Erfurt et en Thuringe.
Il est bon de rappeler que Die Linke à l'Est, plus ancrée dans le social, n'est pas Die Linke à l'Ouest et à Berlin, où elle consacre son énergie aux questions dites sociétales, donnant le ton à la direction du parti. C'est cette opposition entre deux orientations stratégiques qu'exprime une fois de plus Sarah WAGENKNECHT dans son dernier livre paru au Campus Verlag de Francfort et intitulé « Die Selbstgerechten » (ceux qui veulent toujours avoir raison). Née à Iéna en 1969, députée au Bundestag et ancienne coprésidente du groupe Die Linke dans cette assemblée, Sarah WAGENKNECHT est considérée comme la meilleure tête théorique du parti. Elle n'a jamais hésité à « mettre les pieds dans le plat » chaque fois qu'elle craignait un abandon des positions sociales au profit des thèmes sociétaux à la mode. C'est ce qu'elle fait, en critiquant vigoureusement la « gauche Lifestyle » du parti, qui vit dans un monde à part, celui des centres urbains « boboïsés », coupée des couches populaires qu'elle était censée défendre. Ces divergences de fond (qui traversent d’ailleurs aussi le SPD) montrent que la CDU n'est pas le seul parti en proie aux dissensions.
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Terminons ce tour d'horizon des deux dernières semaines d'avril (à dominante verte) par la moyenne des quatre derniers grands sondages pour les élections au Bundestag. Ils ont été effectués par l'institut INSA le 26 avril, l'institut FORSA le 28 avril, l'institut YOUGOV le 30 avril, l'institut KANTAR le 1er mai.
Ils posent tous la « Sonntagsfrage » demandant aux personnes interrogées ce qu'elles voteraient le dimanche suivant.
Les résultats sont les suivants :
Verts : 25,8 % FDP : 11,5 %
CDU-CSU : 23,3 % AfD : 11 %
SPD : 14,5 % Linke : 7,5 %
Il est compréhensible que ces quatre derniers sondages aient fait sensation. Ces chiffres appellent de nombreux commentaires qui prendraient ici trop de place.
Disons brièvement que l'«effet BAERBOCK » joue sans doute à plein (un sondage FORSA sur une hypothétique élection du chancelier au suffrage direct place Mme BAERBOCK en tête à 32 %, Armin LASCHET et Olaf SCHOLZ (SPD) devant se contenter respectivement de 15 et 13 %).
Nous constatons deuxièmement que les dissensions internes et les crises d'identité (CDU, SPD, Linke) se répercutent sur les résultats électoraux.
Troisièmement, Armin LASCHET n'est pas au bout de ses peines, mais l'histoire politique nous apprend qu'une élection n'est jamais jouée d'avance.
Quatrièmement, et pour conclure, il ne faut jamais perdre de vue que le premier parti demeure celui des abstentionnistes, 25 % des inscrits, devant les Verts, 21 % des inscrits, la CDU-CSU 16,5 %,
A bientôt !
Pour ceux et celles d’entre vous qui souhaiteraient visionner les vidéos « alledichtmachen » évoquées à la page 1, voici le lien de connexion :
https://www.youtube.com/channel/UC3_dHQpx8O9JT2LW1U2Beuw/videos
Fabrice CASADEI, Les Nouvelles de l’ACLE n°11
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